Dépendance : FO pour un cinquième risque
Comment améliorer la prise en charge de la dépendance? FO revendique la création d’un nouveau risque, au sein de la branche Assurance maladie de la Sécurité sociale, avec une cotisation spécifique, ce qui mettrait les employeurs à contribution. Mais deux lois adoptées cet été visent, à l’inverse, à exclure la dépendance de l’Assurance maladie et à ce qu’elle soit de plus en plus financée par l’impôt. De plus, un rapport publié le 15 septembre envisage de finir de régler le problème en demandant aux principaux concernés de se serrer, un peu plus, la ceinture.
Alors que la retraite moyenne de base ne dépasse pas 1 500 euros, le reste à charge pour une place en Ehpad s’élève en moyenne à 1 977 euros par mois, soit environ 30% de plus. Pourtant, les conséquences du manque de moyens, en particulier en termes d’effectifs, dans ces Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes sont manifestes. Incontestablement, la prise en charge de la dépendance des personnes âgées est très insuffisante. Mais les avis divergent sur les moyens de l’améliorer. L’enjeu est colossal, d’autant que la situation promet de se compliquer du fait du vieillissement de la population. Alors que les dépenses en faveur du grand âge sont aujourd’hui chiffrées à 30 milliards d’euros, le rapport Libault sur la concertation «Grand âge et autonomie» de 2019 évalue le besoin de financement supplémentaire à 6,2 milliards en 2024 puis à 9,2 milliards en 2030. Le nombre de seniors en perte d’autonomie va passer de 1,3 million en 2017 à 2,2 millions en 2050, indique le rapport.
Deux lois adoptées au creux de l’été
La branche maladie de la Sécurité sociale est actuellement le principal financeur de la couverture dépendance en France, certes dans les limites de l’Ondam (Objectif national des dépenses d’Assurance maladie, fixé chaque année par la loi de financement de la Sécurité sociale) mais grâce à des ressources provenant essentiellement des cotisations sociales. Qu’en sera-t-il demain?
Deux lois ont vu le jour au creux de l’été. Adoptées par le Parlement le 23 juillet dans le cadre d’une procédure accélérée, la loi organique et la loi ordinaire relatives à la dette sociale et à l’autonomie ont été promulguées le 7 août.
Ces deux textes ouvrent la possibilité de créer une nouvelle branche de la Sécurité sociale spécifiquement dédiée à la prise en charge de la perte d’autonomie. Elle s’ajouterait aux branches existantes, la maladie, la retraite et la famille. Le gouvernement parle de cinquième branche car il compte aussi dans les branches actuelles les accidents du travail et maladies professionnelles, les ATMP, alors qu’il ne s’agit en réalité que d’une commission au sein de la branche maladie.
Financement : un rapport pour détrousser retraités et familles
Comme prévu par la loi ordinaire, un rapport a été remis au Parlement par Laurent Vachey, inspecteur général des finances, pour préciser les conséquences de la création de cette branche en termes d’architecture juridique et financière
.
M. Vachey propose de puiser dès l’an prochain dans le Fonds de réserve des retraites et dans les recettes d’Action Logement. Il prône aussi des mesures d’économie
sur l’allocation pour perte d’autonomie (APA), versée aux plus de 60 ans, et sur l’allocation aux adultes handicapés (AAH). De plus, il envisage de rogner sur les exonérations de cotisations accordées aux seniors recourant à une aide à domicile et sur la réduction d’impôt accordée aux résidents d’Ehpad. Enfin, il n’exclut pas une hausse de la CSG pour les retraités les mieux lotis, ou encore la baisse de l’abattement de 10% pour le calcul de l’impôt sur leur revenu. Au final, celles de ces sources de financement
qui auront été retenues, après concertation avec l’ensemble des partenaires
, seront annexées au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2021. De son côté, le ministre de la Santé a promis de dégager au moins 1 milliard d’euros
supplémentaire pour la perte d’autonomie.
Après 2024, aggravation de la dette sociale
À partir de 2024, la loi ordinaire autorise le versement d’une fraction supplémentaire de la CSG à la perte d’autonomie (0,15 point, soit 2,3 milliards d’euros… on est encore loin des besoins chiffrés par le rapport Libault). Ce 0,15% sera récupéré sur la part de CSG consacrée au remboursement de la dette sociale. La loi organique a en effet prolongé la durée de vie de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) de neuf ans, jusqu’à fin 2033, alors que celle-ci, créée en 1996 pour apurer la dette de la Sécurité sociale, devait initialement cesser son activité en 2024.
La Cades est alimentée par une fraction de la CSG ainsi que par un autre impôt, la Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), prélevée à la source sur la plupart des revenus, et par un versement du Fonds de réserve des retraites. La prolongation de son activité répond avant tout au besoin de faire endosser le coût de la crise sanitaire à la Sécurité sociale, pour un montant de 136 milliards d’euros. Or, pour la confédération FO, il revient à l’État d’assumer la dette Covid, qui a un caractère exceptionnel et extraordinaire
.
Un bricolage pour contourner le cœur du problème
À l’heure où l’on cherche de nouveaux financements pour la prise en charge de la perte d’autonomie, prolonger la Cades revient à se tirer une balle dans le pied
, dénonce Serge Legagnoa. Si la Cades s’était éteinte en 2024 comme prévu, les ressources que les assurés vont verser via l’impôt jusqu’en 2033 pour payer la dette Covid auraient pu être utilisées comme piste de financement du risque dépendance avec une cotisation spécifique
, explique-t-il.
Mais le bricolage financier actuel tue dans l’œuf tout débat sur le financement général de la Sécurité sociale
, souligne le secrétaire confédéral. Et pour cause. Ce débat mettrait sur la table les exonérations de cotisations sociales concédées aux employeurs (262 milliards d’euros de 2012 à 2019), exonérations que l’État n’a jamais intégralement compensées, dénonce la confédération FO.
La création d’une cinquième branche spécifique à la perte d’autonomie permet précisément d’esquiver le problème. On nous propose une nouvelle branche organisée autour de la CNSA, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, où l’on compte quatre-vingts personnes autour de la table, dont les représentants d’une myriade d’associations, et où les confédérations syndicales ne disposent que d’un demi-strapontin. C’est une véritable usine à gaz
, résume Serge Legagnoa. Il précise : En diluant ainsi la gouvernance, le gouvernement contourne la gestion paritaire pour au bout du compte garder la main.
Les retraités ne veulent pas devenir une réserve d’Indiens
Les principaux concernés craignent de se voir progressivement écartés de l’Assurance maladie. Nous redoutons que la création d’une branche spécifique ne soit le prétexte à mettre les retraités à l’écart du régime général et de nous retrouver ainsi enfermés dans une réserve d’Indiens, une sous-caisse avec des ressources à part, essentiellement issues de la fiscalité, au motif de faire peser le coût de la dépendance exclusivement sur les ménages et cela pour épargner les entreprises
, explique Didier Hotte, représentant de l’Union confédérale des retraités FO (UCR-FO). La prise en charge de la dépendance doit être de qualité et sans discrimination des personnes âgées ou en situation de handicap
, souligne la confédération FO. Pour ce faire, elle revendique de longue date que la dépendance soit considérée comme un nouveau risque social
dont la gestion doit rester au sein de la branche de l’Assurance maladie, au même titre que la maladie, l’invalidité, le décès ou la maternité.
Repère
À ses origines, la Sécurité sociale n’était pas divisée en branches. L’ordonnance du 4 octobre 1945 a institué une organisation de la Sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature, susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent
. Le texte précisait : L’organisation de la Sécurité sociale assure dès à présent le service des prestations prévues par les législations concernant les assurances sociales, l’allocation aux vieux travailleurs salariés, les accidents du travail et maladies professionnelles et les allocations familiales et de salaire unique […]. Des ordonnances ultérieures procéderont à l’harmonisation desdites législations.
Ce sont les ordonnances de 1967 qui ont séparé la Sécurité sociale en trois caisses différentes : la Caisse nationale d’Assurance maladie, qui gère les prestations relevant de la maladie et des accidents du travail, la Caisse nationale des allocations familiales et la Caisse nationale d’Assurance vieillesse. En 1994, une nouvelle loi a créé une commission spécifiquement dédiée aux ATMP, mais au sein de la branche maladie.
Gouvernance et financement : les revendications de FO
L a confédération FO revendique de longue date la création d’un cinquième risque «perte d’autonomie» au sein de la branche Assurance maladie. Elle considère qu’il serait logique de bâtir sur l’existant
, en effectuant un rapprochement administratif entre les différents dispositifs actuellement épars de façon à améliorer la qualité des prises en charge, tant en nature qu’en espèces. La gestion du nouveau dispositif doit revenir à la caisse d’Assurance maladie, qui est aujourd’hui le principal financeur de la prise en charge existante, estime FO, plutôt qu’à la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie), au sein de laquelle la représentation des assurés sociaux est très limitée.
Force Ouvrière estime donc plus judicieux
de mettre en place une gouvernance spécifique
au sein de la CNAM, sur le modèle de la commission des ATMP (accidents du travail et maladies professionnelles).
Une cotisation spécifique
Force Ouvrière revendique la mise en place d’un financement de la couverture de la perte d’autonomie par le biais d’une cotisation spécifique portant sur les salaires, les retraites et les revenus financiers, estimant que le saupoudrage de mesures de financement diverses ne garantira pas un financement pérenne
. Enfin, si FO ne rejette pas l’intervention des complémentaires, elle attend que soit assuré un service de base de qualité qui se suffise à lui-même, et que le second étage soit véritablement complémentaire, de confort
, et non indispensable ou obligatoire (comme c’est le cas aujourd’hui pour les complémentaires santé pour les salariés en entreprise).
La CNAM paye, la CNSA distribue
La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), créée en 2004, répartit les fonds de la Caisse d’Assurance maladie (CNAM) destinés aux établissements et services médico-sociaux accueillant les personnes en situation de perte d’autonomie (cette répartition se fait via les agences régionales de santé). Elle distribue aussi aux conseils départementaux les contributions de l’État et de la CNAM au financement de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). La CNAM est de loin le plus gros financeur de la CNSA (21,6 milliards en 2020). Le complément est fourni par une fraction de la CSG (2,2 milliards en 2020), la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (Casa) créée en 2013 (0,3% prélevé sur les revenus bruts des pensions de retraite et d’invalidité, soit 0,8 milliard en 2020) et la contribution de solidarité pour l’autonomie, due par les employeurs du privé et du public (2,1 milliards en 2020, somme qu’ils récupèrent sous la forme d’une journée de travail supplémentaire, dite journée de solidarité).
Un cruel manque de moyens
L’APA (Allocation personnalisée à l’autonomie), financée par les caisses de Sécurité sociale, les collectivités locales et l’État, est attribuée sans conditions de ressources aux personnes dépendantes d’au moins 60 ans. Son montant varie selon le degré de dépendance, évalué par une équipe médico-sociale du conseil départemental.
L’APA peut soit aider à payer les dépenses nécessaires au maintien à domicile malgré la perte d’autonomie (garde, repas, toilette, transport, installation d’un lit médicalisé ou autre matériel…), soit prendre en partie en charge le «tarif dépendance» pratiqué par un Ehpad. En revanche, l’APA ne couvre pas le prix de l’hébergement en tant que tel.
Ehpad : 40 000 postes à créer, au moins
Résultat, le prix d’un Ehpad est 30% plus cher que la retraite moyenne de base. Le rapport Libault, remis au gouvernement en mars 2019, préconise une baisse de 300 euros par mois du reste à charge, mais uniquement pour les retraites les plus modestes.
Autre souci majeur : l’insuffisance du taux d’encadrement des résidents, que même le rapport Libault reconnaît. Une enveloppe supplémentaire de 450 millions d’euros a été dédiée aux Ehpad pour 2020-2021, ce qui est très loin de permettre d’atteindre l’objectif d’un agent pour un résident, qui avait pourtant été fixé pour 2012 au plus tard. Pour y parvenir les organisations syndicales, à commencer par FO, revendiquent la création de 40 000 postes… dans un premier temps
.
Evelyne Salamero, journaliste L’inFO militante
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